Moïse aime le sucre. Ça ne fait aucun doute. La façon dont celui-ci a de s'égrener, glissant sur un pamplemousse fade, redonnant un peu de couleur (couleur été printemps soleil chaleur fleurs rouges anémones bleu turquoise des bords de l'île). Il aime aussi le sel, et l'acidité du citron. Ce qu'il préfère, c'est les croquer. À p'tites bouchées. Comme un ogre qui mâche des bouts d'enfants avec un peu de cruauté. Lorsque l'émail (abîmé) de ses dents (caressées par l'écume des vagues lorsqu'il sourit dans la froide étendue glacée) rencontre la pulpe douce et fraîche du citron, que les parois du fruit se séparent et libèrent leur joli poison doré, il se sent transporté. Comme quand il regarde Justine, et qu'il lui prend la main. Ou les dunes, dans le creux de leurs seins. Ou le village, du haut du toit de sa maison rose. Il se sent amoureux. Depuis qu'il est né, il s'est promis qu'il n'irait jamais nul part sans son désinfectant (maman dit, les bobos terribles guérissent avec du désinfectant), ses clés à molette rutilantes et une boîte de bergamotes. Quand ça va pas, il en gobe une. C'est le meilleur des remèdes.
Parfois, il part en excurtion les pieds nus sur les rochers, pour fouler ensuite les plaines herbeuses et écraser des fleurs. Quand le soleil est là il chasse des insectes ou pêche des poissons à la main. Quand il pleut, tant pis, c'est pas grave, l'eau s'arrêtera bien de couler un jour. Le plus souvent, il part avec Justine, ils grimpent dans les arbres et s'embrassent sur la plus haute des branches. Il parle en alexandrins (comme toujours) mais à elle il déclame des quatrains ou deux trois mots poétiques. Ça doit être les paillettes dans ses yeux qui le déstabilise. L'après midi, ils vont se baigner dans la crique, puis ils font l'amour en secret dans leur maison, avec la tendresse qu'on leur connaît. Ils vivent comme des enfants sauvages pendant deux trois jours, cheveux aux vents comme dans un rêve, les lèvres tuméfiées par le bonheur et leurs mains accrochées aux étoiles des yeux de l'autre, en fuyant la tristesse de Sainte-Pélagie, leurs parents, la monotonie et les airs gutturaux des marins alcooliques. Et Moïse au delà de tout, aime le sucre qui se dépose sur la bouche de Justine après qu'elle ait mangé des fraises.