elle a un panier sous le bras, baby, et puis elle ramasse des fleurs un peu partout. des fleurs sauvages, parce qu’elle ne connaît que ça, parce que c’est difficile de trouver des vraies fleurs. sa robe tournoie, quand elle se met en mouvement, et elle rit, parce que les rayons du soleil passent entre les feuilles, et qu’ils éclaboussent son visage en tâches de son.

et puis, la voilà, entrant dans le petit village de l’île de sainte-pé, sourire aux lèvres, les joues roses. il y a quelque chose dans ses yeux, qui brille, quelque chose, au bout de ses doigts, de faible, mais qui arrive presque à jaillir, et à la recouvrir toute entière. c’est encore translucide,ténu, et le moindre orage pourrait tout faire s’envoler.

parce que le rose pastel qui la teint peu à peu, reste fragile.

et puis elle est là, le visage gorgé de soleil, le ventre rond, tendu vers la porte de la petite échoppe, et les mains presque tremblantes autour de son panier. près du bouquet, il y a un trésor, plus brillant que toutes les pierres qu’elle garde dans sa tanière, autour des bougies violettes.

elle tremble, mais pas de peur.

elle n’a plus peur.

elle est invincible.

pourquoi ?

parce qu’en entrant dans la boutique, dans cette bibliothèque, parce qu’entre tous ces vieux livres, parce qu’au-delà de leur odeur de grimoire, il y a une fleur, qui éclot tous les matins, entre les étagères.

parce que baby, chaque fois qu’elle voit zazie,

elle est amoureuse.

des bras et des lèvres sur sa joue et le ronronnement heureux d'un doux soleil. elle est colorée zazie bien plus que tous les couchers de soleil, même en plein été. elle brille comme du cristal au soleil, alors baby, elle laisse tomber le panier et les fleurs et le coquillage, et elle dépose un nouveau baiser, comme une pâquerette, sur ses lèvres cette fois.

elles n'en parleront pas.

(ils existent dans un monde parallèle.)

et puis des pensées roses éclosent sur les joues de zazie et baby elle rit, tout doucement, parce qu'entre elles tout est doux et fragile. des étoiles dansent dans ses yeux, et elle rougit aussi. un peu.

"j'ai fait un bouquet, pour toi, et puis j'ai vu un joli coquillage,
l'extérieur est un peu banal,
mais l'intérieur abrite un arc-en-ciel,
je crois qu'il s'est caché au fond de l'océan.
peut-être est-il tombé amoureux de la pluie?"

comme zazie-soleil aime baby-averse.

alors elle lui donne tout,
les fleurs, et le coquillage, et son sourire, et son amour innocent, aussi, un peu. ça fait longtemps, qu'elle n'a pas aimé comme ça. les fleurs séchées sur l'étagère reprennent vie, regard après sourire.

elle observe les vieux livres, rangés dans un ordre étrange, mais qui sentent bon les souvenirs, les champignons à côté de rimbaud, et le jardinage qui enlace ronsard.

"et puis j'avais des baisers qui s'ennuyaient sur mes lèvres
je me suis dit
ce serait dommage de les gâcher."

les baisers sont comme des fleurs,
éphémères, doux,
et silencieux.
tout se passe dans le silence entre elles, un silence bruyant de déclarations. c’est que baby elle est terrifiée, elle a peur de faner zazie, elle a peur de finir par arracher les pages de leur fin et de froisser le livre, de l’abîmer, de dégueulasser la reliure.

elle rougit encore une fois baby, mais elle ne se cache pas. elle a ses sentiments peints sur tout son visage, et elle espère que zazie les verra, les comprendra, parce qu’elle ne peut rien dire,

ça briserait le silence.

elle aime les fleurs, baby, même si elle connaît pas leur nom, même si elle peut pas tellement se permettre de lui offrir un vrai bouquet, fait par un professionnel, quelqu’un qui pourrait rendre les sourires de zazie et leur silence amoureux seulement avec des jonquilles, des dahlias, et du mimosa. mais baby elle peut pas, et même si elle puvait, elle y connaît rien au langage des fleurs. alor elle se contente de cueillir celles aux couleurs les plus vives, celles qui sentent le meilleur, sur le bord des chemins.

le bouquet est joli, au milieu de tous les livres, fleurs et arbres morts. c’est pas vraiment triste, pour baby, c’est un peu comme leur offrir une seconde naissance, leur offrir une attention qu’ils n’auraient jamais eue en étant de simples arbres, de simples fleurs. personne ne pleure sur l’écorce d’un arbre, personne ne s’attendrit devant une fleur des champs, mais tout le monde peut être touché face aux bouquets et aux livres. surtout ceux de poésie.

et puis les contes de sorcières, mais ça, c’est une autre histoire.

ce n’est pas celle de zazie et de baby.

parce que leur histoire, elle s’écrit entre les pages, sur la tranche, sur la couverture, partout, partout où baby regarde, dans cette bibliothèque, leur histoire est là. elle habite le lieu, comme autant de baisers indicibles, comme autant de sourires volés. et surtout, elle s’écrit sur ces deux fauteuils, dépareillés, l’un trop coloré, l’autre un peu passé. la tapisserie lui rappelle sa vieille tanière, sa cabane de voyante.

((les cartes déchirées. le verre brisé. les fleurs piétinées.))

mais c’est fini tout ça, ici rien que des couleurs douces, du jaune, du brun, des pastels, des crayons gras, et l’odeur de l’encre vieille, l’odeur e la légère poussière, l’odeur de zazie aussi, beaucoup. baby est touchée, et le tabouret est si petit, si minuscule, presque ténu, comme une étoile qui clignote à des centaines de milliers d’années lumières.

zazie lui offre quelque chose d’immensément grand.

zazie lui offre un bout d’elle, et baby ne sait pas trop comment le lui rendre, parce qu’elle n’a elle-même plus beaucoup de bouts. alors, fouillant dans les poches de sa robe un peu trop ample, baby sort une carte de tarot. unique. scotchée, rapiécée, la seule survivante du déluge.

l’impératrice.

elle la remet entre les mains douces de son amie, les embrasse, et souffle à son oreille, avec toute la tendresse dont elle peut faire preuve.

c’est un talisman, ça, zazie.
peu importe les vilaines fins,
peu importe les pages déchirées,
peu importe si la carte se tord, s’abîme ou se déchire,
tu pourras toujours la réparer,
et elle sera toujours avec toi.