Elle n’entend rien, elle ressent.
Sourde, elle est devenue. Insensible, non.
Son corps est couvert d'ecchymoses invisibles à l’oeil nu.
Non, même pas. Il n’est qu’une plaie béante, ne cessant de s’écouler. Sang, désespoir, lymphe, dégoût, morceau de chair et d’égo en lambeaux.
Elle ne saurait vous dire en quels mots sa mère lui déverse sa haine. Mais elle peut vous décrire la douleur.
Paralysée, mortifiée, elle attend que les gifles sonores cessent.
Elle n’était pas assez bien pour sa mère. N’est pas assez bien. Ne sera jamais assez bien.
Peut-être que si elle disparaissait, sa mère s’apaisera. Peut-être que si elle disparaissait, la plaie cicatrisera
Oui, disparaissons lui siffle une petite voix.
Un premier serpent vient de naître. Méduse avec lui.

Les serpents sont de retour.
Ça siffle au dessus de sa caboche.
Capharnaüm exquis et terrifiant à la fois.
Parfois ils dorment, ils la laissent tranquille. Dans ces moments là, la demoiselle profite de ce court répit pour dormir. Redonner à son corps bousillé de quoi tenir. Un peu de jus, comme on dit.
Mais là, malgré l’heure tardive, pas moyen de dormir.
Car ils sont de retour.
Telle Méduse et sa chevelure effrayante, Olive sort de son lit et se laisse guider par le bruissement de cette triste compagnie.
Ils ont l’air heureux, ce soir. Ils savent qu’ils vont gagner.
Et déjà la voilà dans la cuisine, et déjà le placard est grand ouvert.
Ça siffle d’autant plus fort au dessus.
Puis plus rien. Noir total, néant triomphal. Méduse qui se pétrifie elle même, la blague.
Les sifflements ont disparu. La lumière revient après l'obscurité.
C’est la lumière des toilettes.
Plus de sifflement, juste les bruits de la gerbe qui tombe dans la cuvette, juste la chasse d’eau quand il n’y a plus rien à vomir, hormis la haine de soi.
Olive sait que bientôt les sifflements reviendront. D’ailleurs, elle les entend au loin.
Elle tend l’oreille.
Ils ont raison. Ils ont toujours raison.
Elle enfile ses baskets défoncées. Il est 23h, et alors ?
Ils ont raison.
Il faut qu’elle aille courir. Qu’elle secoue son gros tas d’os pour éliminer tout ça.
Ils sifflent plus fort.
Les 40kg de désamour franchissent le pas de la porte et entament leur course.
Méduse s’est mordue, son venin l’a contaminé.

Elle est belle Magda.
Lumineuse même. Une étoile brillante, scintillante.
Ce n’est pas de la même lueur que ses écailles à elle. Non, elle, Olive, c’est un éclat froid, effrayant, écoeurant. Un éclat sans vie. Un éclat de mort.
Magda, c’est la chaleur, la vie, l’amour. C’est tout ce qu’elle veut être, tout ce qu’elle veut avoir. Tout ce qu’elle ne sera jamais, tout ce qu’elle n’aura jamais.
Car elle ne le mérite pas. Elle est mauvaise, malsaine.
Et puis les serpents, ça repoussent tout le monde. Glaçant, frêle, pernicieux. On les voit de loin, on se méfie, on s’écarte.
De toute façon, Olive ne prendra pas le risque de la laisser s’approcher. Car Méduse, elle pétrifie.
Et Olive ne veut pas pétrifiée son étoile.