Je me souviens d'un pays étrange, d'un pays où tout ce qu'on portait dans nos mains avait un poids, tout ce qu'on portait dans nos bouches avait un goût, et toutes les caresses qu'on portait sur notre peau une présence.

Dans la broussaille envahissante de l'île désertique, la jeune fille trace son chemin d'un pas déterminé sans se soucier des ronces voraces qui lui mordent les mollets. Elle dessine au milieu de la végétation débordante un chemin de traverse, une route rêvée mais jusqu'alors inexistante. Habillée d'une jupe mi-longue, juste à peine pour cacher ses immondes genoux cagneux, elle marche au milieu des mauvaises herbes épineuses, qui strient ses jambes nues. 
Elle connaît son île mieux que quiconque, elle a sa carte géographique inscrite dans les veines. Cette île, elle a rêvé de l'ensemble de ses contours, de ses frontières et de ses reliefs. Elle connaît ses failles et ses merveilles à la manière de l'amoureux qui chérit les grains de beauté et autres incongruités du corps de son amante. Des fois, elle est même jusqu'à se demander si ce n'est pas elle qui l'a construite – un bout de terre imaginaire tout droit sorti de son cerveau. Elle connaît chaque herbe, chaque ruisseau, chaque crique et chaque rocher. Elle porte en elle l'exactitude de ses coordonnées, l'altitude de chaque relief et toute la densité de sa superficie. Dans son sang se mélangent l'âpreté de la terre et la vigueur du vent marin. Elle est née sur cette terre, et elle y restera. Son père l'a dit. Sa geôle n'a ni mur, ni barrière – juste une infinité d'eau salée.

Prisonnière de cette terre, elle a appris à l'apprivoiser. La nature boulimique qui mange inlassablement ce micro-monde lui donne les fruits, herbes aromatiques, graines et animaux morts nécessaires à la préparation de quelques remèdes. Ses ancêtres, qui travaillent depuis des années la terre insulaire, lui ont transmis la valeur du respect de la nature.



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