Les vagues toutes proches trouvent un écho dans ma poitrine. Les battements de tambour sous ma cage thoracique s'alignent sur le tempo de l'océan. J'aime croire qu'il m'appelle, alors je l'écoute.

Je traverse le champ de roulottes qui me tient lieu de village. Les autres ont des routes et des bâtisses en pierres, moi j'ai un chapiteau, des caravanes et des terrains vagues. Pas un seul, mais une multitude de parkings goudronnés, traversés sans jamais ne m'y arrêter. Je n'ai pas d'amis d'enfance -- et je ne sais même pas si j'ai des amis, tout court. A la place, j'ai une troupe de circassiens un peu fous, excentriques, de ceux que les bonnes gens regardent avec un air réprobateur (mais dans leurs cœurs, une étincelle s'allume).

Je traîne mon corps qui a peut-être grandi trop vite, mais dont j'ai acquis une maîtrise parfaite. Il faut dire qu'il ne m'a pas laissé le choix : il se plie dans tous les sens, prêt à la danse, il se déforme à ma guise. Là où je le préfère, c'est dans les airs, quand je m'élance du promontoire et trace avec lui des arcs de cercle parfaits. Au sol, il est parfois à l'étroit, mais là-haut, j'ai de la place. Là-haut pourtant, je suis seule.

J'aime la lumière du soleil qui inonde mon visage quand j'arrive sur l'immense plage de sable clair. Il semble briller sous mes pieds autant que dans le ciel, comme un énorme projecteur ferait scintiller robe blanche. Les millions des petits grains crissent sous mes pieds, que je pose à peine. Il paraît que quand je marche, mes talons ne touchent pas le sol -- mes parents aiment à dire que c'est parce que je manque toujours de m'envoler.

Je pense aux sirènes qui, pour vivre parmi les hommes, ont dû se défaire de leurs écailles. Moi, ce sont mes jambes, et ces mêmes pieds, qui me tiennent loin du reste du monde, quand ils m'emmènent dans les airs.
Je me déshabille et je plonge dans les rouleaux. Le rugissement qui emplit mes tympans absorbe mes pensées, et je me laisse porter par le bruit sourd.
Dans cet univers d'écume, j'abandonne mon corps à l'oubli des vagues.