Sphinx vivait dans le passé.
Ici il faisait jour et Sphinx aimait le jour.
Il semblait ailleurs et parfois le vent qui faisait remuer ses cheveux lui donnait l'impression de retrouver ses terres égyptiennes.
Combien de temps errait-il, perdu, à Sainte-Pélagie ?
Ses pieds posés sur le sable et les rochers sont blessés sur les brins d'herbe et seules les lèvres d'Helmut peuvent lui faire oublier la douleur du passé.
Sphinx vivait dans les souvenirs conservés dans des endroits maltraités, son cœur battait à l'unisson avec les secondes et les minutes s'écoulaient sans jamais l'ennuyer.
Comme le miel doux qui sent bon la rosée et les potions d'Isis. La douceur des lumières pour lampe de chevet.
Il se retrouvait dans les pétales maudis des fleurs fanées, dans les tableaux exposés au musée mais aussi dans les histoires des grands pépés. Certains moments qu'il disait noirs, la nostalgie le prenait à la gorge, là, juste là oui, près de la pomme d'Adam (si Ève ne l'avait pas cueillie comment s'appellerait cet endroit ?).
Sphinx s'écrit au passé. C'est un papyrus froissé que l'on n'a pas achevé, une de ces multiples statues au nez cassé.
Un sarcophage sans sa momie, des yeux à peine fermés, et des mains pas entrelacées.
Un matin le soleil s'était levé sur son visage endormi et ses paupières encore lourdes s'étaient entrouvertes après mille ans de sommeil, telle l'histoire de la belle au bois dormant, mais d'une autre époque.
Il se rappelait l'air chaud et doux du ciel d'Egypte et les sourires de sa mamie, la veille, les sirènes qui chantent dans les étoiles de son pays. Il se rappelait les boucles brunes de Nout et les farces de Bès. Il voyait si bien sa maison du passé, là où il s'était endormi, pour l'éternité.
Reverra-t-il, un jour, cet endroit magnifique ?
Sphinx vient du passé, traverse les époques sans jamais prendre une ride.
Il s'est échoué à Sainte-Pé, ça aurait pu être ailleurs, c'est tombé ici. Il se dit qu'il pourrait voir l'Egypte de maintenant, pour ne pas oublier celle d'hier. Il ne veut rien effacer de l'Avant, mais bon sang, il veut y aller, de l'avant !
Parfois, il a peur, quand même, d'y retourner.
Le monde est beau et Sphinx est amoureux.
Pas que d'Helmut, bien sûr, des papillons dans son ventre et dans les molécules d'air, des cailloux fluorescents et des bizarreries de l'île.
Il aime ces lapins nains qui gambadent sur les collines et les dauphins tachetés qui jouent dans les vagues, enfants inconscients.
Il se demande si la vie est un pur délice à croquer.
Le soleil de Sainte-Pé lui donne envie d'embrasser,
mais que feraient-ils si Sphinx volait le soleil ?